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COMME JADIS…

sur cette réduction de voiture, les mains jointes sur mon sac de voyage, les tempes tendues d’inquiétudes, de je ne sais quelle appréhension. Ainsi j’ai fait vingt milles avant d’atteindre Bois-Brûlé, la station. Il était une heure. Sur la haute galerie de bois de l’hôtel, des hommes fumaient, le chapeau rabattu sur les yeux, le dossier de leurs chaises renversé contre le mur.

— Faut vous presser, Mademoiselle Lavernes, si vous voulez trouver « de quoi ».

Je n’avais pas faim. Je suis entrée cependant dans la salle à dîner fraîche avec ses blinds de toile verte qui faisaient une demi obscurité préservatrice des mouches et des maringoins. La fille de salle, familière, m’a vanté son plat préféré, m’a servi la boulette de beurre, les crakers qui ont toujours un vague goût de pétrole — et un steak plus substantiel.

Vous croyez sans doute, mon cousin, que voyager, c’est-à-dire employer les moyens de locomotion moderne, doit m’empêtrer quelque peu ? Détrompez-vous. Nous, gens de l’Ouest, nous, filles de la Prairie, avons la prétention d’être à notre aise partout !

Pour moi, me voici confortablement assise à l’angle de la banquette de velours rouge et de la paroi du char — nous appelons char ce que vous nommez du mot anglais waggon — il est vrai que,