Aller au contenu

Page:Michelet - Comme jadis, 1925.djvu/251

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
251
COMME JADIS…

avait moins besoin d’être remontée. Je m’étonne qu’elle, si résignée d’ordinaire, d’humeur paisible et égale, supporte difficilement le retard d’un courrier. Elle a une nombreuse parenté à l’armée, plusieurs des siens sont à l’arrière, les autres sont très exposés. Son patriotisme a quelque chose d’ardent, même de sauvage, dont l’expression m’a causé l’autre jour un sentiment indéfinissable, douloureux.

Je vous ai dit la mort tragique de ses deux petits garçons : les Mourier étaient à peine installés sur la concession, lorsqu’un feu de forêt, se déclara, en l’absence du père et de la mère, et ne fit qu’une flambée de la tente où s’était réfugiés les deux enfants affolés.

Jamais Henriette ne fait allusion non seulement au drame, mais aux enfants. Elle plisse ses deux lèvres qui se sont amincies à force d’être serrées, et qui, sur ce thème douloureux, semblent fermées pour toujours.

Mais voici ce qui s’est passé l’autre soir : l’idée ne me serait venue de lui faire rompre un silence farouche. Ainsi qu’il arrive lorsque la pâte a mal levé, la cuite du pain s’attardait. J’avais voulu demeurer pour lui tenir compagnie. En réalité nous n’avions pas échangé dix paroles. L’une et l’autre, le poing coiffé d’un bas, nous reprisions. L’odeur chaude du pain se répandait dans la salle chaque fois qu’Henriette, se levant, ouvrait le four