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COMME JADIS…

Minnie, la guerre a changé nos cœurs de pauvres hommes. Où sont nos rancœurs ? Je revois l’enfant à la tête ardente, qui traversait la vieille cour dallée et l’autre vision c’est la femme vêtue de blanc, vacillante, inclinée sur la souffrance d’un soldat déchiqueté.

« Morte au champ d’honneur… » Ce sont des mots dont on aurait souri l’an dernier, dont on ne comprendra plus le sens dans dix ans. Aujourd’hui, ils font courir sur l’épiderme un frisson intraduisible.

Par le même courrier qui m’a apporté la lettre de Marthe, j’ai reçu quelques lignes d’Henri. Je vous avais dit qu’il était réformé. À force de démarches, il est parvenu à se faire incorporer au corps d’aviation. On attend de grands services de ces frêles oiseaux qui déjà sillonnent notre ciel en nombre appréciable. Henri fait partie, en qualité d’observateur, d’une escadrille renommée pour la hardiesse de ses pilotes. Le poste est périlleux ; il est à la mesure de sa bravoure et de son dévouement.

Des dix lignes qu’il m’écrit, deux sont consacrées à affirmer sa certitude de la victoire, quatre parlent de projets d’apostolat futur, les autres me recommandent deux jeunes nantais de son patronage qui appartiennent à ma section. De lui-même pas un mot. Cependant, il vient d’être cité avec son pilote à l’ordre du jour de l’armée.