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COMME JADIS…

qu’Henri considérait comme un frère et dont il attendait une fructueuse collaboration.

Je ne veux pas terminer sans transcrire ici les dernières lignes reçues de Gérard, au début de septembre. Parlant de vous, il dit : « Je suis fier de ma petite Canadienne qui, vaillamment, sans se laisser déprimer, moissonne son blé afin de nous permettre de pétrir du beau pain. À chaque bouchée que je mordrai dans ma miche, maintenant, je ne pourrai m’empêcher de croire qu’elle est faite de la farine du grain roux d’Alberta… »


Il est très rare qu’une de nos infirmières frappée par un deuil semblable au nôtre quitte l’hôpital, en reste un jour éloignée. Je ne veux pas vous offrir l’exemple, Mademoiselle. Je vous dis : voilà ce que nous faisons. Mais nous, nous sommes au cœur de la lutte, enfiévrées par les plaintes de nos blessés, par leurs récits, grisées par l’odeur de la poudre que nous apportent leurs vêtements en lambeaux, leurs chairs arrachées… Vous, malgré les craintes qui vous ont préparée au pire, vous recevrez ce qui est toujours la stupéfiante nouvelle, loin, très loin, perdue dans une solitude inconcevable, selon ce que disait Gérard…

Voulez-vous croire à ma présence réelle à cette minute douloureuse ?

Je termine en vous répétant ce qu’il écrivait : qu’il était fier de la vaillance de sa petite Canadienne.