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COMME JADIS…

se passaient moins régulièrement que jadis à la Grangère. On était en pleine rage de la vogue des cartes postales illustrées. Jacqueline, en trois lignes tracées au-dessous d’une vue du château, classé monument historique, m’annonça un beau matin, qu’elle commençait une collection et que j’eusse à lui envoyer désormais quelques cartes représentant les lieux où s’écouleraient mes vacances. Sans analyser le bonheur confus que j’éprouvais à cette injonction, je m’engageai, par retour du courrier, à marquer de cartes illustrées chacun de mes déplacements. Je tins ma promesse durant des années, toujours plus charmé par la tournure originale que prenait sa pensée condensée en quelques mots de réponse. Je fus, une fois, gratifié de la reproduction d’un mince ruisseau anonyme, coulant en pleine lumière de juillet. À l’angle de la carte, d’une écriture haute, presque typographique, au point que je m’y trompai à première vue, un quatrain célébrait la fuite de l’eau souple sous la caresse fervente du soleil. Je réclamai le nom de l’auteur. Un autre quatrain, impertinent celui-là, me l’apprit. Je restai confondu de surprise. À tous les sentiments que j’avais éprouvés pour Jacqueline, enfant despotique, égoïste et passionnée, petit être de cruauté inconsciente, s’ajouta une admiration naïve…

L’année suivante, j’eus l’heureuse fortune de faire accepter mon premier tableau au Salon d’Au-