Page:Michelet - Comme jadis, 1925.djvu/90

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
90
COMME JADIS…

vallée, l’air était irrespirable. La grisante odeur des fleurs mêlées, épanouies éperdument, montait des massifs surchauffés. Nous longeâmes sans parler, écrasés de soleil, le mur recouvert de jasmin qu’un souffle de vent chaud agitait. Jacqueline, sans m’arrêter, arracha quelques étoiles d’argent qu’elle fixa à l’encolure basse de sa blouse. Quand nous fûmes à l’abri de l’épaisse charmille, elle leva son visage vers le mien et me dit simplement :

— Je vous attendais depuis si longtemps… — Avant que je fusse revenu de mon étonnement, — Oui, je vous attendais, continua-t-elle. Vous êtes surpris de ma hardiesse ? Ah ! Gérard, vous me trouverez différente des jeunes filles de votre monde, je vous en préviens… Je vous attendais parce que vous avez en vous le secret de mon art. Je l’ai senti à l’étincelle jaillie au contact de votre pensée, lorsque j’ai découvert votre « Aube claire », au Salon d’Automne. Ne sentez-vous pas combien la peinture et la littérature sont sœurs jumelles ?… Je rêve d’une école… Vous verrez, ce que nous pourrons réaliser !… Gérard, voulez-vous m’accepter comme une humble collaboratrice ?…

Sa tête orgueilleuse paraissait accablée, courbée sous l’humilité de la demande, pendant que l’arc de sa bouche frémissait sanglant, prêt à se détendre dans une riposte ironique et que les clartés et les ombres passaient rapides sous les longues paupières bistrées voilant à demi les prunelles de