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Page:Michelet - Comme jadis, 1925.djvu/93

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COMME JADIS…

Notre mariage ne devait être célébré que l’année suivante, alors que Mlle Maurane, prenant sa retraite, viendrait vivre auprès de son frère et dirigerait son intérieur.

Mon père, repris par ses goûts mondains, faisait de fréquents voyages à Paris. J’aurais voulu passer cette année d’attente à Noulaine, m’absorber dans un labeur fécond que l’allégresse rendait aisé. Jacqueline s’opposa à mes projets. J’avais de précieuses relations à Paris que je ne devais pas négliger. Et puis n’avais-je pas fait assez de « paysanneries », il n’était que temps de revenir à ce qu’elle appelait ma première manière. Je promis que je ne m’enterrerais pas à Noulaine. N’avais-je pas d’ailleurs la chère mission de préparer notre nid dans la vieille demeure parisienne ?

La séparation me parut courte cependant, embellie qu’elle était par une correspondance où l’on me livrait le merveilleux secret d’une intelligence riche, souple, aux manifestations sans cesse renouvelées. Quelle sécheresse de cœur je devais découvrir plus tard dans ces lettres qui m’avaient enivré, soutenu contre toutes les tentations, soulevé, transporté, agenouillé devant la radieuse certitude de l’amour partagé !… Les plus fragiles de nos souvenirs d’enfance m’étaient une preuve irréfutable que l’accord depuis toujours régnait entre nous. Peu à peu, par un mirage d’imagination, la Jacqueline, enfant despote et égoïste, s’estompait pour