Aller au contenu

Page:Michelet - Comme jadis, 1925.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
95
COMME JADIS…

l’être. Ce jour-là, il y a deux ans, je ne fus donc pas étonné par son irruption. Je l’attendais. Depuis quelques jours elle m’avait remis le manuscrit d’un roman qu’elle désirait soumettre à une maison d’édition. Or, les premières pages m’avaient accablé de stupeur. Croyant à ma propre aberration mentale, je demandai des explications que Jacqueline me refusa exigeant avant tout que j’eusse terminé la lecture de son manuscrit. J’avais lu. J’étais incapable de prendre la décision qui s’imposait, d’aller à la Grangère plonger mon regard dans les yeux ardents, pour y lire la vérité immuable, pour presser la main ferme et loyale dont mes doigts connaissaient l’étreinte ; j’attendais la venue de ma fiancée, sans pensée, devant les débris de mon idole renversée. Et voilà pourquoi lorsque la porte basse s’ouvrit, tout à coup, ce jour-là, pour encadrer entre les montants de chêne bruni l’éclatante apparition de beauté et de force, je ne fus pas surpris. Pourtant, je ne pus me composer une attitude indifférente. Vit-elle en mon désarroi l’espoir d’un triomphe facile ? Tout de suite, elle prit la pose soumise d’esclave dont elle savait se servir comme une habile comédienne. Sa tête fine, casquée d’épaisse soie rousse se leva vers moi :

— Pourquoi n’êtes-vous pas venu, Gérard ?

Et pour effacer, semblait-il, l’humilité du premier geste, elle s’assit très droite sur le bord du