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PRÉFACE DE 1869.

rien. Il y paraît aux deux premiers volumes (France du Moyen âge). On n’avait pas encore publié tous les documents qui ont éclairé ces ténèbres, l’abîme de ces longues misères. Le grand effet d’ensemble qui en sortait pour moi était celui d’une harmonie lugubre symphonie colossale, dont les dissonances innombrables frappaient encore peu mon oreille. C’est un défaut très-grave. Le cri de la Raison par Abailard, l’immense mouvement de 1200, si cruellement étouffé, y sont trop peu sentis, trop immolés à l’effet artistique de la grande unité.

Et pourtant aujourd’hui, ayant traversé tant d’années, des âges, des mondes différents, en relisant ce livre, et voyant très-bien ses défauts, je dis :

« On ne peut y toucher. »

Il fut écrit dans une solitude, une liberté, une pureté, une haute tension d’esprit, rares, vraiment singulières. Sa candeur, sa passion, l’énorme quantité de vie qui l’anime, plaident pour lui auprès de moi, le soutiennent devant mon regard. La droiture de la jeunesse se sent dans les erreurs même. Les grands résultats généraux y sont, au total, obtenus. Pour la première fois paraît l’âme de la France en sa vive personnalité, et non moins en pleine lumière l’impuissance de l’Église.