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HISTOIRE DE FRANCE.

emmenés captifs : tout ce mal fait, au bout de quelques jours les flots se referment, le sillon s’efface, les souffrances individuelles sont oubliées, la société rentre, en apparence du moins, dans son ancien état. Ainsi se passaient les choses en Gaule au cinquième siècle.

« Mais nous savons aussi que la société humaine, cette société qu’on appelle un peuple, n’est pas une simple juxtaposition d’existences isolées et passagères : si elle n’était rien de plus, les invasions des barbares n’auraient pas produit l’impression que peignent les documents de l’époque. Pendant longtemps, le nombre des lieux et des hommes qui en souffraient fut bien inférieur au nombre de ceux qui leur échappaient. Mais la vie sociale de chaque homme n’est point concentrée dans l’espace matériel qui en est le théâtre et dans le moment qui s’ensuit ; elle se répand dans toutes les relations qu’il a contractées sur les différents points du territoire ; et non-seulement dans celles qu’il a contractées, mais aussi dans celles qu’il peut contracter ou seulement concevoir ; elle embrasse non-seulement le présent, mais l’avenir ; l’homme vit sur mille points où il n’habite pas, dans mille moments qui ne sont pas encore ; et si ce développement de sa vie lui est retranché, s’il est forcé de s’enfermer dans les étroites limites de son existence matérielle et actuelle, de s’isoler dans l’espace et le temps, la vie sociale est mutilée, elle n’est plus.

« C’était là l’effet des invasions, de ces apparitions des bandes barbares, courtes, il est vrai, et bornées, mais sans cesse renaissantes, partout possibles, tou-