Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/117

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s’emplit, se comble de harengs, et devient gras. La morue s’emplit, se comble de merlans, et devient grasse. Si bien que le danger des mers, l’excès de la fécondité, recommence ici, plus terrible. La morue est bien autre chose que le hareng ; elle a jusqu’à neuf millions d’œufs ! Une morue de cinquante livres en a quatorze livres pesant ! le tiers de son poids ! Ajoutez que cette bête, de maternité redoutable, est en amour neuf mois sur douze. C’est celle-ci qui mettrait la terre en péril. Au secours ! lançons des vaisseaux, équipons des flottes. L’Angleterre seule y envoie vingt ou trente mille matelots. Combien l’Amérique et combien la France, la Hollande, toute la terre ? La morue, à elle seule, a créé des colonies, fondé des comptoirs et des villes. Sa préparation est un art. Et cet art a une langue, tout un idiome technique propre aux pêcheurs de morue.

Mais qu’est-ce que l’homme peut faire ? La nature sait que nos petits efforts, nos flottes et nos pêcheries ne seraient rien pour son but, que la morue vaincrait l’homme. Elle ne se fie point à lui. Elle appelle des forces de mort bien autrement énergiques. Du fond des fleuves à la mer arrive l’un des plus actifs, des plus déterminés mangeurs, l’esturgeon. Venu aux fleuves pour faire paisiblement l’amour, il en sort maigri