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Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/23

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la mer vue du rivage

merveille. La nature semble tenir peu à avoir un tel témoin. Dieu est là tout seul chez lui.

L’élément que nous appelons fluide, mobile, capricieux, ne change pas réellement ; il est la régularité même. Ce qui change constamment, c’est l’homme. Son corps (dont les quatre cinquièmes ne sont qu’eau, selon Berzélius) sera demain évaporé. Cette apparition éphémère, en présence des grandes puissances immuables de la nature, n’a que trop raison de rêver. Quel que soit son très juste espoir de vivre en son âme immortelle, l’homme n’en est pas moins attristé de ces morts fréquentes, des crises qui rompent à chaque instant la vie. La mer a l’air d’en triompher. Chaque fois que nous approchons d’elle, il semble qu’elle dise du fond de son immutabilité : « Demain tu passes, et moi jamais. Tes os seront dans la terre, dissous même à force de siècles, que je continuerai encore, majestueuse, indifférente, la grande vie équilibrée qui m’harmonise, heure par heure, à la vie des mondes lointains. »

Opposition humiliante qui se révèle durement, et comme avec risée pour nous, surtout aux violentes plages, où la mer arrache aux falaises des cailloux qu’elle leur relance, qu’elle ramène deux fois par jour, les traînant avec un bruit sinistre comme de chaînes et de boulets. Toute jeune ima-