Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/279

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intrépide ose monter, et qu’il nomme une barque.

Misérable petit véhicule long, mince et qui ne pèse rien. Il est très strictement fermé, sauf un trou, où le rameur se met, serrant la peau à sa ceinture. On gagerait toujours que cela va chavirer… Mais point. Il file comme une flèche sur le dos de la vague, disparaît, reparaît, dans les remous durs, saccadés, que font les glaces autour, entre les montagnes flottantes.

Homme et canot, c’est un. Le tout est un poisson artificiel. Mais qu’il est inférieur au vrai ! Il n’a pas l’appareil, la vessie natatoire qui soutient l’autre, le fait à volonté lourd ou léger. Il n’a pas l’huile qui, plus légère que l’eau, veut toujours surnager et remonter à la surface. Il n’a pas surtout ce qui fait, chez le vrai poisson, la vigueur du mouvement, sa vive contraction de l’épine pour frapper de forts coups de queue. Ce qu’il imite seulement, faiblement, ce sont les nageoires. Ses rames qui ne sont pas serrées au corps, mais mues au loin par un long bras, sont bien molles en comparaison, et bien promptes à se fatiguer. Qui répare tout cela ? La terrible énergie de l’homme, et, sous ce masque fixe, sa vive raison, qui, par éclairs, décide, invente et trouve, de minute en minute, remédie sans cesse aux périls de cette peau flottante qui seule le défend de la mort.