Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/286

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danger, le duel avec la baleine. S’en aller dans les mers du Nord, se prendre corps à corps avec la montagne vivante, en pleine nuit, et, on peut le dire, en plein naufrage, le pied sur elle et le gouffre dessous, ceux qui faisaient cela étaient assez trempés de cœur pour prendre en grande insouciance les événements ordinaires de la mer.

Noble guerre, grande école de courage. Cette pêche n’était pas comme aujourd’hui un carnage facile qui se fait prudemment de loin avec une machine : on frappait de sa main, on risquait vie pour vie. On tuait peu de baleines, mais on gagnait infiniment en habileté maritime, en patience, en sagacité, en intrépidité. On rapportait moins d’huile et plus de gloire.

Chaque nation se montrait là dans son génie particulier. On les reconnaissait à leurs allures. Il y a cent formes de courage, et leurs variétés graduées étaient comme une gamme héroïque. Au Nord, les Scandinaves, les races rousses (de la Norvège en Flandre), leur sanguine fureur. — Au Midi, l’élan basque et la folie lucide qui se guida si bien autour du monde. — Au centre, la fermeté bretonne, muette et patiente ; mais, à l’heure du danger, d’une excentricité sublime. — Enfin, la sagesse normande, armée de l’association et de toute prévoyance, courage calculé, bravant tout, mais pour