Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/318

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Nord. Bien avant le cercle polaire, un froid brouillard pèse sur la mer, vous morfond, vous couvre de givre. Les cordages se roidissent ; les voiles s’immobilisent ; le pont est glissant de verglas ; la manœuvre difficile. Les écueils mouvants qu’on a à craindre se distinguent à peine. Au haut du mât, dans sa logette chargée de frimas, le veilleur (vraie stalactite vivante) signale, de moment en moment, l’approche d’un nouvel ennemi, d’un blanc fantôme gigantesque, qui souvent a deux cents, trois cents pieds au-dessus de l’eau.

Mais cette procession lugubre qui annonce le monde des glaces, ce combat pour les éviter, donnent plutôt envie d’aller plus loin. Il y a dans l’inconnu du Pôle je ne sais quel attrait d’horreur sublime, de souffrance héroïque. Ceux qui, sans tenter le passage, ont seulement été au Nord, et contemplé le Spitzberg, en gardent l’esprit frappé. Cette masse de pics, de chaînes, de précipices, qui porte à quatre mille cinq cents pieds son front de cristaux, est comme une apparition dans la sombre mer. Ses glaciers, sur les neiges mates, se détachent en vives lueurs, vertes, bleues, pourpres, en étincelles, en pierreries, qui lui font un éblouissant diadème.

Pendant la nuit de plusieurs mois, l’aurore boréale éclate à chaque instant dans les splen-