Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/342

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ques, le vaste filet, la madrague divisée en plusieurs chambres, soulevée par des cabestans, les fait peu à peu arriver en haut dans la chambre de mort. Autour, deux cents hommes cuivrés, avec des harpons, des crochets, attendent. De vingt lieues à la ronde arrivent le beau monde, les jolies femmes et leurs amants. Elles se mettent au bord et au plus près, pour bien voir la tuerie, parent l’enceinte d’un cercle charmant. Le signal est donné, on frappe. Ces poissons, qu’on dirait des hommes, bondissent, piqués, percés, tranchés, rougissant l’eau de plus en plus. Leur agitation douloureuse, et la furie de leurs bourreaux, la mer qui n’est plus mer, mais je ne sais quoi d’écumant qui vit et fume, tout cela porte à la tête. Ceux qui venaient pour regarder agissent, ils trépignent, ils crient, ils trouvent qu’on tue lentement. Enfin, on circonscrit l’espace ; la masse fourmillante des blessés, des morts, des mourants, se concentre dans un seul point : sauts convulsifs, coups furieux ; l’eau jaillit et la rosée rouge…

Et cela a comblé l’ivresse. Même la femme délire et s’oublie ; elle est emportée du vertige. Tout fini, elle soupire, épuisée, mais non satisfaite, et dit en partant : « Quoi ! c’est tout ? »