Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/96

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portait à travers les champs, terribles et toutes brandies ?…

Nous avions la chance bizarre de faire naufrage sur terre. Notre maison, si avancée, pouvait voir son toit emporté, ou tout un étage peut-être. C’était l’inquiétude des gens du village, comme ils nous le dirent, leur pensée de chaque nuit. On nous conseillait de quitter. Mais nous supposions toujours que cette tempête si longue aurait une fin pourtant, et nous disions toujours : « Demain. »

Les nouvelles qui venaient par terre ne nous apprenaient que naufrages. Tout près de nous, le 30 octobre, un navire qui venait de la mer du Sud avec une trentaine d’hommes périt à la passe même. Après avoir évité les rocs, les écueils, il était venu en face d’une petite plage de fin sable, où les femmes se baignent. Eh bien, sur cette douce plage, enlevé par le tourbillon et sans doute à grande hauteur, il retomba d’un poids épouvantable, fut assommé, éreinté, disloqué. Il resta là, comme un corps mort. Qu’étaient devenus les hommes ? on n’en trouva aucune trace. On supposa que peut-être tous avaient été balayés du pont.

Ce tragique événement en faisait supposer bien d’autres, et l’on ne rêvait que malheurs. Mais la mer n’avait pas l’air d’en avoir encore assez. Tout le monde était à bout ; elle, non. Je voyais nos