Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

morale. L’Europe légitime et monarchique se constitua en plein vol, chacun gardant ce qu’il avait pris et sa mauvaise conscience.

Alexandre conservait encore une velléité d’être juste. Quand il vit Kosciusko : " que voulez-vous ? " lui dit-il. — Kosciusko, sans parler, trouvant une carte sur la table, mit le doigt sur le Dnieper, l’ancienne frontière de Pologne. — " Eh bien ! il en sera ainsi. "

On a douté de cette réponse ; mais Kosciusko lui-même, dans une lettre au prince Adam Czartoriski (13 juin 1815), assure qu’Alexandre lui fit, à lui et aux autres polonais, la promesse d’étendre la Pologne jusqu’au Dnieper et à la Dzwina.

L’exaltation religieuse d’Alexandre à cette époque rend la chose tout à fait croyable. Il voulait restituer. Un jour, dans une réunion nombreuse de dames russes, il saisit un crucifix qui pendait à la muraille et jura que de la Pologne il ne garderait pas seulement l’espace qu’il indiquait : c’était le creux de sa main. Les dames, dans leur étrange patriotisme russe, se mirent à pleurer.

Elles ne savaient pas que c’est justement la Pologne, possédée injustement, qui empêche et empêchera toute amélioration en Russie.

Kosciusko demandait que les paysans fussent graduellement affranchis dans l’espace de dix ans, et qu’on leur garantît leurs terres. Alexandre fermait l’oreille. Un