Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/46

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La révélation la plus forte de la Pologne en ces derniers temps, sa poésie vivante, son poème humain, fut l’homme étrange qui, seul, de nos jours, en pleine lumière, hier même, en 1849, est devenu, une légende.

Nous l’avons connu ici, cet homme terrible, cet homme-fée qui sans arme chassait des escadrons les blessait du regard, celui sur qui mollissaient les balles, celui devant qui reculaient les boulets effrayés ; nous l’avons connu, — le général Bem.

Ici, il nous parut un homme doux et bon, rien de plus. Il s’occupait infatigablement de méthodes qu’il devait un jour appliquer à l’enseignement des pauvres paysans polonais. La guerre lui était naturelle ; il l’avait dans le sang, et il n’en donnait aucun signe. Sa figure, très peu militaire, était triste. Pour être gai, il lui fallait la guerre, des combats, et terribles.

Là, au milieu des balles, il devenait aimable, d’une bonhomie joviale. La pluie de fer, de feu, était son élément ; alors il avait l’air de nager dans les rosés. Avec cela, humain et doux. Le péril n’éveillait en lui ni haine ni colère ; tout au contraire, une gaieté charmante. Personne n’a moins haï ceux qu’il tuait. Aussi est-il resté cher à tous, aux Slaves comme aux Hongrois, comme aux Polonais. Ils le chantent avec les leurs, et se vantent de ce que, lui aussi, il fut Slave ; ils montrent avec orgueil les coups dont il les honora.

Cette légende est fondée au cœur des peuples, elle