Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/56

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impossible ; le reste du temps, des glaces, et les voyages pénibles et dangereux, si ce n’est par traîneaux. La désolante uniformité d’un tel climat, la solitude que crée l’absence de communications, tout donne à l’homme un besoin extraordinaire de mouvement. Sans la main de fer qui les tient attachés au sol, tous, nobles et serfs, les Russes fuiraient ; ils iraient, viendraient, voyageraient. Ils n’ont rien autre chose en tête. Laboureurs malgré eux, et non moins ennemis de la vie militaire, ils sont nés voyageurs, colporteurs, brocanteurs, charpentiers nomades aussi ; cochers surtout, c’est là qu’ils brillent.

Ne pouvant suivre cet instinct de mouvement, l’agriculteur au moins trouve plaisir à changer et s’agiter sur place. La distribution continuelle des terres, leur passage d’une main à l’autre, font une sorte de voyage intérieur pour toute la commune. La terre ennuyeuse, immobile, est comme mobilisée, diversifiée, par ce fréquent échange.

On a dit en parlant des Slaves en général ce qui, tout au moins, est vrai des Russes : « nul passé, nul avenir ; le présent seul est tout. »

Mobiles habitants de l’océan des boues du Nord, où la nature incessamment compose et décompose, résout, dissout, ils semblent tenir de l’eau. « Faux comme l’eau, » a dit Shakspeare. — Leurs yeux longs, mais très-peu ouverts, ne rappellent pas bien ceux de l’homme. Les Grecs appelaient les Russes : yeux de lézards, et Mickiewicz a dit, mieux encore,