Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/85

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d’un effet lugubre ! Les vives lumières, fortement contrastées par les ombres, semblaient dire l’éclatante gloire de cette révolution si courte, sitôt replongée dans la nuit… Le peuple pleurait d’enthousiasme, de tendresse pour cet homme, entre tous, héroïque et bon. On criait : " vive le sauveur ! " Ce cri revenait troublé par les profonds échos des vieilles églises, où sont enterrés les rois de Pologne ; les Sobieski elles Jagellons répondaient de leurs tombeaux.

Kosciusko fut nommé dictateur. Ses premiers actes furent simples et grands, 1e°° La levée générale de toute la jeunesse polonaise, sans distinction de classe, de dix-huit à vingt-sept ans. 2e°° Une proclamation touchante, qui devait aller au fond des cœurs, même des plus égoïstes.

Dix jours s’écoulent à peine. Les Russes viennent livrer bataille aux Polonais (4 avril 1794). Ils avaient 6.000 hommes, Kosciusko 3.000 et 1.200 chevaux. Sur ce petit nombre il n’y avait guère de soldats proprement dits. Les cavaliers étaient les nobles du voisinage. Les fantassins (sauf quelques troupes régulières) étaient de simples paysans armés de leurs faux ; la plupart n’avaient jamais entendu des armes à feu. Ces pauvres gens furent bien surpris de voir le dictateur de la Pologne prendre sa place au milieu d’eux, et non dans la cavalerie. Il avait leur costume même, une redingote de toile grise qui ne se distinguait que par quelques brandebourgs noirs.