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Page:Michelet - La femme.djvu/223

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L’antiquité (même juive) n’a jamais eu, ni connu, ni rêvé, rien de si sombre. On sent un être supérieur qui non-seulement a rencontré tout malheur, toute douleur individuelle, mais souffert aussi de n’avoir pas eu l’expansion légitime de sa race. Douleur souterraine, immense, de ce monde américain. Flottant dans la guerre éternelle du désert et les guerres atroces (chasse à l’ours et chasse à l’homme), il n’a pas pu arriver à se révéler tout à fait. Puis s’est dressée devant lui la force prosaïque de la vieille Europe, avec le fusil, l’alcool, toute machine de surprise ou de combat.

Elle est en face de tout cela, cette femme, comme un sphinx âpre et amer… Et pourtant, sous cette amertume, oh ! quel cœur de mère et de femme ! Combien aisément celle-ci, dans les longues famines d’hiver, eût, pour nourrir sa couvée, coupé sur son corps des morceaux sanglants ! Avec quelle joie, pour la sauver, elle se fût fait brûler vive par la tribu ennemie ! Et quel insondable amour aurait pu trouver en elle le héros qu’elle eût préféré !

On sent bien, en la regardant, l’infini mystérieux qu’elle a caché de fierté, de silence. Sa vie fut aussi muette que sa mort. Toutes les tortures du monde, pas plus que l’aiguillon d’amour, n’en auraient tiré un soupir. Elle n’a pas perdu la pa-