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Page:Michelet - La femme.djvu/56

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grir. Cela est atroce de ne pouvoir être triste. Elles savent bien qu’au milieu des demi-égards, un peu ironiques, que l’on a pour elles, on ne leur pardonnera pas un jour de langueur, ni la moindre altération. Certaine ombre de souffrance, un peu de pâleur maladive qui parerait la grande dame et peut-être rendrait fou d’amour, c’est la ruine de la dame au camellia. Elle est tenue d’être brillante de fraîcheur, luisante plutôt. Point de grâce. Un médecin très-honnête qu’une d’elles avait appelé, huit jours après, de lui-même, sans autre intérêt que la pitié, passant dans la rue, monta, demanda comment elle allait. Elle fut extrêmement touchée et ouvrit son cœur. « Vous me voyez toujours seule, dit-elle. Il vient à peine un jour par semaine. Si je souffre ce jour-là, il dit : « Bonsoir, je vais au bal » (c’est-à-dire chercher une femme), me faisant sèchement entendre que je ne suis bonne à rien, que je ne gagne pas mon pain. »

La façon dont on s’en défait est la chose la plus cruelle. M. Bouilhet, dans son beau drame d’Hélène Peyron, a mis en scène ce qui se voit tous les jours. On n’aime pas à rompre en face, mais on s’arrange si bien, que la créature délaissée, demain sans ressources peut-être, accueille trop crédulement l’amour d’un ami per-