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Page:Michelet - La femme.djvu/66

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Pour revenir, malgré l’époque, je doutai fort, sur la vue du visage de cette femme que ce fût une étudiante, une habituée de ces bals. On connaît aisément ce monde-là. Elle n’y eût pas réussi. Un nez sévèrement arrêté, un menton ferme, une bouche à lèvres fines et précises, un certain air de réserve l’auraient fait trop respecter.

L’enquête ultérieure prouva que j’avais très-bien jugé. C’était une demoiselle de province, de petite bourgeoisie marchande, qui, dans une ville peuplée en majeure partie de célibataires, employés, etc., n’avait pu, malgré son honnêteté naturelle, se défendre seule contre des assauts infinis, une poursuite de toutes les heures. Sur promesse de mariage, elle avait aimé et eu un enfant. Trompée, sans autre ressource que ses doigts et son aiguille, elle avait quitté cette ville, celle de France où les femmes sont le moins embarrassées. Elles y gagnent tout ce qu’elles veulent. Celle-ci aima mieux aller se cacher à Paris, et mourir de faim. Elle traînait un enfant ; grand obstacle à toute chose. Elle ne pouvait être ni femme de chambre ni demoiselle de boutique. La couture ne produisait rien. Elle essaya de repasser ; mais dans son état maladif, aggravé par le chagrin, elle ne pouvait le faire sans que le charbon lui donnât de cruelles migraines, et elle ne restait debout tout un jour