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Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/198

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MON JOURNAL.

Jeudi 18. — Malgré le refroidissement d’hier, je suis allé voir M. Villemain. II m’a fait beaucoup d’amitiés, encore plus de questions. Il m’a demandé si j’avais des amis. Et comme je lui en parlais avec chaleur, il s’est écrié : « Vous m’étonnez. Je vous avoue, qu’à l’espèce de raideur de vos manières, je vous aurais cru plutôt une âme sèche et serrée. »

C’était pour lui un jour d’étonnement. Il a été surpris de la façon dont j’écris le grec. Il m’a montré lui-même un morceau de la Couronne [1] qu’il venait de traduire. Mis tous deux en verve par ces communications réciproques, nous en sommes venus à parler politique, religion, et je lui ai dit tout cru ce que je pensais.

De là, j’ai poussé jusqu’à la tanière de mon ours que je néglige trop. Il ne semble pas m’en vouloir, si j’en juge à la douceur amicale avec laquelle il m’a demandé des nouvelles de Poinsot. Sans doute, il se rend compte que, s’il était dans le triste état de ce. pauvre enfant, c’est lui qui serait au premier rang dans ma sollicitude.

Oui, pauvre enfant !... Qui sait, mon Dieu !... Il est bien vrai qu’en ce moment il n’y a que lui en moi.

Quand je veux savoir jusqu’à quel point je suis vivant ou mort, je tâte son pouls, et, selon qu’il

  1. Discours de Démosthènes.