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Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/208

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MON JOURNAL.


prendre dans ta vie ?... Te rappelles-tu ce jour dans la prairie de Gentilly, et cet autre, dans la prairie de la Glacière, où nous parlions ensemble de l’immortalité de l'âme ? Quels plus dignes sacrifices que ces conversations si pures !... mon ami ! je te parle et tu m’entends, mais tu ne me réponds plus !...

Ah ! pourquoi n’avoir pas mieux profité de toi, de ton amitié, de ce passé à jamais irréparable ? Je t’avais à moi hier encore. J’aurais dû te disputer à la mort et te serrer sans te lâcher jusqu’à ce qu’elle t’eût glacé dans mes bras. Ton regard m’a cherché à tes derniers moments. Ne me voyant pas, tu as pu t’en aller avec cette pensée amère que je te négligeais. Mon pauvre enfant !... Oui, si difficile qu’il fût pour moi de rompre ma chaîne, j’aurais dû tout quitter pour être là et te fermer les yeux. Ah ! je ne mérite pas d’avoir qui ferme les miens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et ces paroles, que m’arracha l’impatience quelques jours avant ta mort, comment les expier jamais ? Tu les connais maintenant, et ton indulgence me les pardonne peut-être. Moi, non. Elles restent sur ma conscience. Je t’aimais bien, pourtant, si dur, si irritable que j’aie pu être. Tu sais le mal, tu sais le bien aussi. Qu’il plaide en ma faveur. Souviens-toi du jour où, à pareille date, je te reconduisais de la rue des Anglais, où tu