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Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/232

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MON JOURNAL.


dévoré, comme moi, d’un besoin incessant de lectures. Il faut céder à plus fort que soi.

Après trois grands jours de réclusion, je me sentais avide d’air libre et de mouvement. Nous avons fait une course immense. De Belleville où nous sommes montés d’abord, nous avons longé le parc Saint-Fargeau, puis, les hauteurs de Charonne. De là, gagnant Bagnolet, Montreuil, nous avons cheminé vers Vincennes qui nous ramenait à Paris. Poret, tout en marchant, me lisait sa traduction de l'Octogénaire et les Trois Jeunes Gens. Nous disputions sur tout avec la chaleur ordinaire, mais rien d’intime. Lui se souvenait peut-être de noire dernière promenade et s’arrangeait pour que la même tristesse ne revînt pas. Eh bien, précisément parce que nous ne disions rien de nos pensées intérieures, ni du pauvre absent, je me sentais repris de l’indicible malaise que je porte en moi depuis qu’il est parti. Rentré à la maison et seul, le soir, dans mon cabinet, j’ai pleuré comme un enfant celui à qui je disais tout, qui me disait tout.... L’ami qui tient sa place, d’un naturel beaucoup plus réservé, semble, par sa discrétion, vouloir m’engager au silence. Bonne et utile leçon, peut-être, mais dont je ne saurais profiter.

Les passions intellectuelles ont beau exercer sur moi leur puissance, le cœur, lui aussi, réclame impérieusement à ses heures.