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Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/238

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MON JOURNAL.

Aujourd’hui dimanche, je ne suis point sorti. Le commencement de l'Homme et la Couleuvre, Dugald Stewart, quelques lignes de journal, peut-être tout à l’heure un peu de grec, voilà ma journée. Dans ces délicieuses études, j’oublie trop ce qui regarde mon métier. Bodin me l’a rappelé tantôt, en me disant qu’il avait pris un maître de philosophie. Cela vous apprendra à être négligent, à faire le dédaigneux . Que dirait de cela M. Carré [1] ? Je ne sais plus quel jour de l’autre semaine, il tâchait, comme à l’ordinaire, de me démontrer qu’il faut vivre en brute et gagner beaucoup d’argent. Je lui en laisse volontiers la recette.

Depuis que mon pauvre ami est mort, je n’éprouve qu’un seul besoin, remuer mes idées ; je sens aussi» plus fréquemment que par le passé, l’envie de produire. Si je savais mieux manier ma pensée et mieux écrire, je ferais volontiers un livre. Lequel ? C’est là la question. Les sujets ne manquent pas, mais il faut savoir les traiter. Je suis encore bien novice ! Écrire une Nouvelle serait le plus facile. J’en ai toujours au printemps la tentation. Là, du moins, je pourrais faire la part du cœur, et mettre tous les événements du passé si doux au souvenir — malgré leur tristesse — que je m’oublie à les savourer. Mon roman serait

  1. M. Carré était professeur de seconde à Charlemagne ; Michelet avait été son élève.