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Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/249

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MON JOURNAL.


mirage. Si nous cherchons à analyser la personne aimée, nous la voyons, non pas telle qu’elle est dans la réalité, mais telle que notre-désir la crée.

Donnez-moi à juger là femme qu’aime mon voisin, j’y viendrai peut-être. Dans le calme des sens, l’esprit garde sa lucidité tout entière et ses moyens d’analyse. Mais, si c’est moi qui aime, si, j’ai été pris brusquement, à l’improviste, adieu alors l’analyse, adieu même la raison !

C’est pour cela qu’il faut tâcher de rester juste dans nos défaites et de n’accuser jamais témérairement. Qui sait, d’ailleurs, si la femme que notre légèreté condamne si aisément, n’eût pas donné l’infini du bonheur à celui qui eût fait à son cœur un plus sérieux appel ?... Prise, jeune et novice encore, la femme devient presque toujours ce que nous la faisons. L’homme est son créateur naturel. A lui, de savoir l’élever. Ce qu’il y faut avant tout, c’est d’aimer réellement. Or, peut-on dire qu’il y ait amour, dans ces rencontres fortuites jet passagères où l'on ne donne rien du meilleur de soi ?... Ce sont bien moins deux âmes qui s’unissent, que deux corps électrisés qui fortuitement se rencontrent. La passion, le vertige des sens semblent les confondre, à jamais, dans l’éclair de l’orage. Ce n’est qu’une apparence. L’orage apaisé, l’étincelle électrique éteinte, la séparation brusquement se fait, les voilà redevenus étrangers