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Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/277

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MON JOURNAL.


doute, ce qui lui avait fait espérer pouvoir me croiser sans être aperçue. Le trouble que trahissait sa pâleur, lui était venu en me voyant fermer mon livre. Elle avait senti, dès lors, qu’elle n’échapperait pas à mon regard.

Cette pâleur mortelle, voilà surtout ce qui m’a bouleversé. Tout n’était donc pas fini entre nous !... Mais ai-je eu le temps de me le dire ?... Mon émoi me semble avoir été indépendant de toute réflexion. La commotion a été si soudaine et si forte, que tout mon sang n’a fait qu’un tour ; mon cœur s’est comme détaché de ma poitrine et j’ai cru le sentir tomber. Avec lui, la vie a coulé, j’ai chancelé comme un homme ivre.... Ah ! non, ce ne sont pas là les effets de l’ivresse. La mort seule, quand elle nous touche de son aile funèbre, peut faire éprouver une si poignante angoisse et arracher à l’âme un tel cri de détresse.

Lorsque j’ai su ce que je faisais, elle avait passé, elle était déjà loin. J’aurais pu retourner sur mes pas, la poursuivre, ou bien, agir en homme, dire adieu au passé, à ses souvenirs décevants ; j’aurais pu entrer chez mon maître et reprendre pied avec lui dans le présent par des pensées viriles. Mais c’était un de ces moments où l’on ne sait plus vouloir. Un instant avait suffi pour tout changer. Que m’importaient maintenant le concours et tous les intérêts de ce monde ?... Une