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PRÉFACE DE 1869

blême. On risque d’y trouver la blanche Fiancée, si pâle et si charmante, qui boit le sang de votre cœur ! Faites au moins comme Énée, qui ne s’y aventure que l’épée à la main pour chasser ces images, ne pas être pris de trop près (ferro diverberat umbras). »

L’épée ! triste conseil. Quoi ! j’aurais durement, quand ces images aimées venaient à moi pour vivre, moi je les aurais écartées ! Quelle funeste sagesse !… Oh ! que les philosophes ignorent parfaitement le vrai fond de l’artiste, le talisman secret qui fait la force de l’histoire, lui permet de passer, repasser à travers les morts !

Sachez donc, ignorants, que, sans épée, sans armes, sans quereller ces âmes confiantes qui réclament la résurrection, l’art, en les accueillant, en leur rendant le souffle, l’art pourtant garde en lui sa lucidité tout entière. Je ne dis nullement l’ironie où beaucoup ont mis le fond de l’art, mais la forte dualité qui fait qu’en les aimant, il n’en voit pas moins bien ce qu’elles sont, « que ce sont des morts ».

Les plus grands artistes du monde, les génies qui si tendrement regardent la nature, me permettront ici une bien humble comparaison. Avez-vous vu parfois le sérieux touchant de la jeune enfant,