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ÉCLAIRCISSEMENTS

Je viens de tuer un des tiens. » Le saint homme réunit ses frères, leur raconte ce que le diable lui a appris, leur ordonne de chercher dans toutes les cellules afin de découvrir la victime. On vint lui dire qu’il ne manquait personne parmi les moines, mais qu’un malheureux mercenaire, qu’on avait chargé de voiturer du bois, était gisant auprès de la forêt. Il envoie à sa rencontre. On trouve non loin du monastère ce paysan à demi mort. Bientôt après il avait cessé de vivre. Un bœuf l’avait percé d’un coup de corne dans l’aine.

« Le diable lui apparaissait souvent sous les formes les plus diverses. Tantôt il prenait les traits de Jupiter, tantôt ceux de Mercure, d’autres fois aussi ceux de Vénus et de Minerve. Martin, toujours ferme, s’armait du signe de la croix et du secours de la prière. Un jour, le démon parut précédé et environné lui-même d’une lumière éclatante, afin de le tromper plus aisément par cette splendeur empruntée : il était revêtu d’un manteau royal, le front ceint d’un diadème d’or et de pierreries, sa chaussure brodée d’or, le visage serein et plein de gaieté. Dans cette parure, qui n’indiquait rien moins que le diable, il vint se placer dans la cellule du saint pendant qu’il était en prière. Au premier aspect, Martin fut consterné, et ils gardèrent tous les deux un long silence. Le diable le rompit le premier : « Martin, dit-il, reconnais celui qui est devant toi. Je suis le Christ. Avant de descendre sur la terre, j’ai d’abord voulu me manifester à toi. » Martin se tut et ne fit aucune réponse. Le diable reprit audacieusement : « Martin, pourquoi hésites-tu à croire lorsque tu vois ? Je suis le Christ. — Jamais, reprit Martin, notre Seigneur Jésus-Christ n’a prédit qu’il viendrait avec la pourpre et le diadème. Pour moi, je ne croirai pas à la venue du Christ, si je ne le vois tel qu’il fut dans sa Passion, portant sur son corps les stigmates de la croix. » À ces mots, le diable se dissipe tout à coup comme de la fumée laissant la cellule remplie d’une affreuse puanteur. Je tiens ce récit de la bouche même de Martin ; ainsi, que personne ne le prenne pour une fable.

« Car sur le bruit de sa religion, brûlant du désir de le voir, et aussi d’écrire son histoire, nous avons entrepris pour l’aller trouver un voyage qui nous a été agréable. Il ne nous a entretenus que de l’abandon qu’il fallait faire des séductions de ce monde, et du fardeau du siècle pour suivre d’un pas libre et léger notre Seigneur Jésus-Christ. Oh ! quelle gravité, quelle dignité il y avait dans ses paroles et dans sa conversation ! Quelle force, quelle facilité merveilleuse pour résoudre les questions