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ONZIÈME SIÈCLE

son nom pour lui succéder ; non seulement elle veut lui succéder dans la domination temporelle (déjà tous les rois reconnaissent la suprématie de l’empereur), mais elle affecte encore une suprématie morale ; elle s’intitule le Saint-Empire ; hors de l’Empire, point d’ordre ni de sainteté. De même que là-haut les puissances célestes, trônes, dominations, archanges, relèvent les unes des autres ; de même l’empereur a droit sur les rois, les rois sur les ducs, ceux-ci sur les margraves et les barons. Voilà une prétention superbe, mais en même temps une idée bien féconde dans l’avenir. Une société séculière prend le titre de société sainte, et prétend réfléchir dans la vie civile l’ordre céleste et la hiérarchie divine, mettre le ciel sur la terre. L’empereur tient le globe dans sa main aux jours de cérémonie ; son chancelier appelle les autres souverains les rois provinciaux[1], ses jurisconsultes le déclarent la loi vivante[2] ; il prétend établir sur la terre une sorte de paix perpétuelle, et substituer un état légal à l’état de nature qui existe encore entre les nations.

Maintenant, en a-t-il le droit, de faire cette grande chose ? En est-il digne, ce prince féodal, ce barbare de Franconie ou de Souabe ? Lui appartient-il d’être, sur la terre, l’instrument d’une si grande révolution ? Cet idéal de calme et d’ordre, que le genre humain poursuit depuis si longtemps, est-ce bien l’empereur

  1. C’est ainsi que le chancelier de l’Empire qualifia tous les rois dans une diète solennelle, sous Frédéric-Barberousse : Reges provinciales.
  2. Imperator est animata lex in terris.