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HISTOIRE DE FRANCE

immense influence en Italie, et la prétention de faire les papes. Hildebrand n’avait pas même Rome ; il n’avait rien, et il avait tout. C’est la vraie nature de l’esprit de n’occuper aucun lieu. Chassé partout et triomphant, il n’eut pas une pierre à mettre sous sa tête, et dit en mourant ces paroles : « J’ai suivi la justice et fui l’iniquité ; voilà pourquoi je meurs dans l’exil[1]. » (1073-86.)

On a accusé l’obstination des deux partis ; et l’on n’a pas vu que ce n’était pas là une lutte d’hommes. Les hommes essayèrent de se rapprocher, et ne purent jamais. Lorsque Henri IV resta trois jours en chemise sur la neige dans les cours du château de Canossa[2], il fallut bien que le pape l’admît. Des deux côtés on

  1. Il écrivait à l’abbé de Cluny : « Ma douleur et ma désolation sont au comble lorsque je vois l’Église d’Orient séparée par la fourbe du diable de la foi catholique ; et si je tourne mes regards vers l’Occident, vers le Midi ou vers le Nord, je n’y trouve presque plus d’évêques qui le soient légitimement, soit par leur conduite dans l’épiscopat, soit par la manière dont ils y sont parvenus. Ils gouvernent leurs troupeaux, non pour l’amour de Jésus, mais par une ambition toute profane, et parmi les princes séculiers je n’en trouve aucun qui préférât l’honneur de Dieu au sien propre, et la justice à son intérêt. Les Romains, les Lombards et les Normands, parmi lesquels je vis, seront bientôt (et je le leur dis souvent) plus exécrables que les juifs et les païens. Et lorsque mes regards se reportent sur moi-même, je vois que ma vaste entreprise est au-dessus de mes forces ; de sorte que je dois perdre toute espérance d’assurer jamais le salut de l’Église, si la miséricorde de Jésus-Christ ne vient à mon secours ; car si je n’espérais une meilleure vie, et si ce n’était pour le salut de la sainte Église, j’en prends Dieu à témoin, je ne resterais plus à Rome, où je vis déjà depuis vingt ans malgré moi. Je suis donc comme frappé de mille foudres, comme un homme qui souffre d’une douleur qui se renouvelle sans cesse, et dont toutes les espérances ne sont malheureusement que trop éloignées. »
  2. Gregor. ep. — Il se jeta aux pieds du pape, les bras étendus en croix, et demanda pardon. — « C’était la première fois, dit Otton de Freysingen, qu’un pape avait osé excommunier un empereur. J’ai beau lire et relire nos histoires, je n’en trouve pas un exemple. »