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INNOCENT III

oblige sa fille et son gendre, le comte de Hainaut, d’en laisser une partie comme douaire à sa veuve ; mais il garde pour lui-même l’Artois et Saint-Omer, en mémoire de sa femme Isabelle de Flandre. Cependant, il excite les Aquitains à la révolte, il encourage le frère de Richard à se saisir du trône. Les renards font leur main, dans l’absence du lion. Qui sait s’il reviendra ? il se fera probablement tuer ou prendre. Il fut pris en effet, pris par des chrétiens, en trahison. Ce même duc d’Autriche qu’il avait outragé, dont il avait jeté la bannière dans les fosses de Saint-Jean d’Acre, le surprit passant incognito sur ses terres, et le livra à l’empereur Henri VI[1]. C’était le droit du moyen âge. L’étranger qui passait sur les terres du seigneur sans son consentement lui appartenait. L’empereur ne s’inquiéta pas du privilège de la croisade. Il avait détruit les Normands de Sicile, il trouva bon d’humilier ceux d’Angleterre. D’ailleurs Jean et Philippe-Auguste lui offraient autant d’argent que Richard en eût donné pour sa rançon. Il l’eût gardé sans doute ; mais la vieille Éléonore, le pape, les seigneurs allemands eux-mêmes, lui firent honte de retenir prisonnier le héros de la croisade. Il ne le lâcha toutefois qu’après avoir exigé de lui une énorme rançon de cent cinquante mille

  1. Comme Richard venait d’arriver à Vienne, après trois jours de marche, épuisé de fatigue et de faim, son valet, qui parlait le saxon, alla changer des besants d’or et acheter des provisions au marché. Il fit beaucoup d’étalage de son or, tranchant de l’homme de cour et affectant de belles manières ; on aperçut à sa ceinture des gants richement brodés, tels qu’en portaient les grands seigneurs de l’époque ; cela le rendit suspect, le bruit du débarquement de Richard s’était répandu en Autriche : on l’arrêta, et la torture lui fit tout avouer.