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HISTOIRE DE FRANCE

tant cette fin victorieuse avait été triste. Que souhaitait-il donc ? Il avait écrasé Othon, et fait un empereur de son jeune Italien Frédéric II : la mort des rois d’Aragon et d’Angleterre avait montré au monde ce que c’était que de se jouer de l’Église ; l’hérésie des Albigeois avait été noyée dans de tels flots de sang, qu’on cherchait en vain un aliment aux bûchers. Ce grand, ce terrible dominateur du monde et de la pensée, que lui manquait-il ?

Rien qu’une chose, la chose immense, infinie, à quoi rien ne supplée : son approbation, la foi en soi. Sa confiance au principe de la persécution ne s’était peut-être pas ébranlée ; mais il lui arrivait par-dessus sa victoire un cri confus du sang versé, une plainte à voix basse, douce, modeste, et d’autant plus terrible. Quand on venait lui conter que son légat de Cîteaux avait égorgé en son nom vingt mille hommes dans Béziers, que l’évêque Folquet avait fait périr dix mille hommes dans Toulouse, était-il possible que dans ces immenses exécutions le glaive ne se fût point trompé ? Tant de villes en cendres, tant d’enfants punis des fautes de leurs pères, tant de péchés pour punir le péché ! Les exécuteurs avaient été bien payés : celui-ci était comte de Toulouse et marquis de Provence[1], celui-là archevêque de Narbonne ; les autres, évêques. L’Église, qu’y avait-elle gagné ? Une exécration immense, et le pape un doute.

  1. Dans une charte de l’an 1215, Monfort s’intitule : « Simon, providentia Dei dux Narbonæ, comes Tolosæ, et marchio Provinciæ et Carcassonæ vicecomes, et dominus Montis-fortis. »