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ÉCLAIRCISSEMENTS

Graal prolonge la vie de Titurel pendant cinq cents années. Les gardiens de la coupe et du temple, les Templistes, doivent rester purs. Ni Arthur, ni Parceval ne sont dignes de la toucher. Pour en avoir approché, l’amoureux Lancelot reste comme sans vie pendant trente-quatre jours. La nouvelle chevalerie du Graal est conférée par des prêtres ; c’est un évêque qui fait Titurel chevalier. Cette poésie sacerdotale place si haut son idéal qu’il en est stérile et impuissant. Elle a beau exalter les vertus du Graal, il reste solitaire ; les enfants de Parceval, de Lancelot et de Gauvin, peuvent seuls en approcher. Et quand on veut enfin réaliser le vrai chevalier, le digne gardien du Graal, on est obligé de prendre un sir Galahad, parfait de tout point, saint dès son vivant, mais fort ignoré. Ce héros obscur, mis au monde tout exprès, n’a pas grande influence.

Telle fut l’impuissance de la poésie chevaleresque. Chaque jour plus sophistique et plus subtile, elle devint la sœur de la scolastique, une scolastique d’amour comme de dévotion. Dans le Midi, où les jongleurs la colportaient en petits poèmes par les cours et les châteaux, elle s’éteignit dans les raffinements de la forme, dans les entraves de la versification la plus artificielle et la plus laborieuse qui fût jamais. Au Nord, elle tomba de l’épopée au roman, du symbole à l’allégorie, c’est-à-dire au vide. Décrépite, elle grimaça encore pendant le quatorzième siècle dans les tristes imitations du triste Roman de la Rose, tandis que par-dessus s’élevait peu à peu la voix de la dérision populaire dans les contes et les fabliaux.

La poésie chevaleresque devait se résigner à mourir. Qu’avait-elle fait de l’humanité pendant tant de siècles ? L’homme qu’elle s’était plu dans sa confiance à prendre simple, ignorant encore, muet comme Parceval, brutal comme Roland et Renaud, elle avait promis de l’amener par les degrés de l’initiation chevaleresque à la dignité de héros chrétien, et elle le laissait faible, découragé, misérable. Du cycle de Roland à celui du Graal, sa tristesse a toujours augmenté. Elle l’a mené errant par les forêts, à la poursuite des géants et des monstres, à la recherche de la femme. Ce sont les courses de l’Hercule antique, et aussi ses faiblesses.

La poésie chevaleresque a peu développé son héros ; elle l’a retenu à l’état d’enfant, comme la mère imprévoyante de Parceval, qui prolonge pour son fils l’imbécillité du premier âge. Aussi la laisse-t-il là, cette mère. De même que Gérard de Roussillon a quitté la chevalerie et s’est fait charbonnier,