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HISTOIRE DE FRANCE

patience, ferme résignation, le moyen âge distinguait en l’âne je ne sais combien de vertus chrétiennes. Pourquoi eût-on rougi de lui ? Le Sauveur n’en avait pas rougi[1]… Quel mal en tout cela ? Tout n’est-il pas permis à l’enfant ? Plus tard, l’Église imposa silence au peuple, l’éloigna, le tint à distance. Mais aux premiers siècles du moyen âge, l’Église s’effarouchait si peu de ces drames populaires qu’elle en reproduisait sur ses murailles les traits les plus hardis. À Rouen[2], un cochon joue du violon ; à Chartres, c’est un âne[3] ; à Essonne, un évêque tient une marotte[4]. Ailleurs, ce sont les images des vices et des péchés sculptés dans la licence d’un pieux cynisme[5]. L’artiste n’a pas reculé devant l’inceste de Loth, ni les infamies de Sodome[6].

Il y avait alors un merveilleux génie dramatique, plein de hardiesse et de bonhomie, souvent empreint d’une puérilité touchante. Personne ne riait en Allemagne quand le nouveau curé, au milieu de sa messe d’installation, allait prendre sa mère par la main et dansait avec elle. Si elle était morte, elle était sauvée sans difficulté ; il mettait sous le chandelier l’âme de sa mère. L’amour de la mère et du fils, de Marie et de Jésus, était pour l’Église une riche source de pathétique. Aujourd’hui encore à Messine, le jour de l’Assomption, la Vierge, portée par toute la ville, cherche son fils comme la Cérès de la Sicile antique cherchait Proserpine ; enfin, quand elle est au moment d’entrer dans la grande place, on lui présente tout à coup

  1. Nostri nec pœnitet illas,
    Nec te pœniteat pecoris, divine poeta.
    Nec te pœniteat pecoris, divine poe(Virg.)

  2. Au portail septentrional de la cathédrale (portail des Libraires).
  3. Sur un contrefort du clocher vieux.
  4. A l’église de Saint-Guenault, des rats rongent le globe du monde. — Aristote n’échappe pas à ce rire universel. À Rouen, il est représenté courbé, les mains à terre, et portant une femme sur son dos.
  5. Voy. les stalles de Notre-Dame de Rouen, de Notre-Dame d’Amiens, de Saint-Guenault d’Essonne, etc. Dans l’église de l’Épine, petit village près Châlon, il se trouve des sculptures très remarquables, mais aussi très obscènes. Saint Bernard écrit vers 1125, à Guillaume de Saint-Thierry : « À quoi bon tous ces monstres grotesques en peinture ou en bosse qu’on met dans les cloîtres à la vue des gens qui pleurent leurs péchés ? À quoi sert cette belle difformité, ou cette beauté difforme ? Que signifient ces singes immondes, ces lions furieux, ces centaures monstrueux ? »
  6. C’était le sujet d’un bas-relief extérieur de la cathédrale de Reims, que l’on a fait effacer.