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ÉCLAIRCISSEMENTS

Pour soulever ces rocs à quatre, à cinq cents pieds dans les airs[1], les géants, ce semble, ont sué… Ossa sur Pélion, Olympe sur Ossa… Mais non, ce n’est pas là une œuvre de géants, ce n’est pas un confus amas de choses énormes, une agrégation inorganique… Il y a eu là quelque chose de plus fort que le bras des Titans… Quoi donc ? le souffle de l’esprit. Ce léger souffle qui passa devant la face de Daniel, emportant les royaumes et brisant les empires ; c’est lui encore qui a gonflé les voûtes, qui a soufflé les tours au ciel. Il a pénétré d’une vie puissante et harmonieuse toutes les parties de ce grand corps, il a suscité d’un grain de sénevé la végétation du prodigieux arbre. L’esprit est l’ouvrier de sa demeure. Voyez comme il travaille la figure humaine dans laquelle il est enfermé, comme il imprime la physionomie, comme il en forme et déforme les traits ; il creuse l’œil de méditations, d’expérience et de douleurs, il laboure le front de rides et de pensées, les os mêmes, la puissante charpente du corps, il la plie et la courbe au mouvement de la vie intérieure. De même, il fut l’artisan de son enveloppe de pierre, il la façonna à son usage, il la marqua au dehors, au dedans de la diversité de ses pensées ; il y dit son histoire, il prit bien garde que rien n’y manquât de la longue vie qu’il avait vécue ; il y grava tous ses souvenirs, toutes ses espérances, tous ses regrets, tous ses amours. Il y mit, sur cette froide pierre, son rêve, sa pensée intime. Dès qu’une fois il eut échappé des catacombes, de la crypte mystérieuse où le monde païen l’avait tenu[2], il la lança au ciel cette crypte ; d’autant plus profondément elle descendit, d’autant plus haut elle monta ; la flèche flamboyante échappa comme le profond soupir d’une poitrine oppressée depuis mille ans. Et si puissante était la respiration, si fortement battait ce cœur du genre humain, qu’il fit jour de toutes parts dans son enveloppe ; elle éclata d’amour pour recevoir le regard de Dieu. Regardez l’orbite amaigri et profond

  1. Cette hauteur de cinq cents pieds semblerait avoir été l’idéal auquel aspirait l’architecture allemande. Ainsi les tours de la cathédrale de Cologne devaient, d’après les plans qui subsistent encore, s’élever à cinq cents pieds allemands (quatre cent quarante-trois pieds de Paris) ; la flèche de Strasbourg est haute de cinq cents pieds de Strasbourg (quatre cent quarante-cinq pieds de Paris).
  2. A peine pourrait-on citer quelques exemples de cryptes postérieures au douzième siècle. (Caumont.) C’est au douzième et au treizième siècle qu’a lieu le grand élan de l’architecture ogivale.