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TABLEAU DE LA FRANCE

dans son existence. Les cimes décharnées qui la couronnent témoignent de sa caducité[1]. Ce n’est pas en vain qu’elle est frappée de tant d’orages ; et d’en bas l’homme y aide. Cette profonde ceinture de forêts qui couvraient la nudité de la vieille mère, il l’arrache chaque jour. Les terres végétales, que le gramen retenait sur les pentes, coulent en bas avec les eaux. Le rocher reste nu ; gercé, exfolié par le chaud, par le froid, miné par la fonte des neiges, il est emporté par les avalanches. Au lieu d’un riche pâturage, il reste un sol aride et ruiné : le laboureur, qui a chassé le berger, n’y gagne rien lui-même. Les eaux qui filtraient doucement dans la vallée, à travers le gazon et les forêts, y tombent maintenant en torrents, et vont couvrir ses champs des ruines qu’il a faites. Quantités de hameaux ont quitté les hautes vallées faute de bois de chauffage, et reculé vers la France, fuyant leurs propres dévastations[2].

Dès 1673, on s’alarma. Il fut ordonné à chaque habitant de planter tous les ans un arbre dans les forêts du domaine, deux dans les terrains communaux. Des forestiers furent établis. En 1669, en 1756, et plus tard, de nouveaux règlements attestèrent l’effroi qu’inspirait le progrès du mal. Mais à la Révolution, toute barrière tomba ; la population pauvre commença d’ensemble cette œuvre de destruction. Ils escaladèrent, le feu et la bêche en main, jusqu’au nid des aigles,

  1. Plusieurs espèces animales disparaissent des Pyrénées. Le chat sauvage y est devenu rare ; le cerf en a disparu depuis deux cents ans, selon Buffon.
  2. App. 19.