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HISTOIRE DE FRANCE

plaintes. C’est pourquoi il me semble, seigneur, que tu feras grand tort au comte Ramon, si tu ne lui rends et fais rendre ses terres, et tu en auras reproche de Dieu et du monde, et dorénavant, seigneur, il ne sera homme vivant qui se fie en toi ou en tes lettres, et qui y donne foi ni créance, ce dont toute l’Église militante pourra encourir diffamation et reproche. C’est pourquoi je vous dis que vous, évêque de Toulouse, vous avez grand tort, et montrez bien par vos paroles que vous n’aimez pas le comte Ramon, non plus que le peuple dont vous êtes pasteur ; car vous avez allumé un tel feu dans Toulouse, que jamais il ne s’éteindra ; vous avez été la cause principale de la mort de plus de dix mille hommes, et en ferez périr encore autant, puisque, par vos fausses représentations, vous montrez bien persévérer en les mêmes torts ; et par vous et votre conduite la cour de Rome a été tellement diffamée que par tout le monde il en est bruit et renommée, et il me semble, seigneur, que pour la convoitise d’un seul homme tant de gens ne devraient pas être détruits ni dépouillés de leurs biens. »

« Le saint-père pensa donc un peu à son affaire ; et quand il eut pensé, il dit : « Je vois bien et reconnais qu’il a été fait grand tort aux seigneurs et princes qui sont venus devers moi ; mais toutefois j’en suis innocent, et n’en savais rien ; ce n’est pas par mon ordre qu’ont été faits ces torts, et je ne sais aucun gré à ceux qui les ont faits, car le comte Ramon s’est toujours venu rendre vers moi comme véritablement obéissant, ainsi que les princes qui sont avec lui. »

« Alors donc se leva debout l’archevêque de Narbonne. Il prit la parole, et dit et montra au saint-père comment les princes n’étaient coupables d’aucune faute pour qu’on les dépouillât ainsi, et qu’on fît ce que voulait l’évêque de Toulouse, « qui toujours, continua-t-il, nous a donné de très damnables conseils, et le fait encore à présent ; car je vous jure la foi que je dois à la sainte Église, que le comte Ramon a toujours été obéissant à toi, saint-père, et à la sainte Église, ainsi que tous les autres seigneurs qui sont avec lui ; et s’ils se sont révoltés contre ton légat et le comte de Montfort, ils n’ont pas eu tort ; car le légat et le comte de Montfort leur ont ôté toutes leurs terres, ont tué et massacré de leurs gens sans nombre, et l’évêque de Toulouse, ici présent, est cause de tout le mal qui s’y fait, et tu peux bien connaître, seigneur, que les paroles dudit évêque n’ont pas vraisemblance ; car si les choses étaient comme il le dit et le donne à entendre, le comte Ramon et les seigneurs qui l’accompagnent ne seraient venus vers toi, comme ils l’ont fait, et comme tu le vois. »