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HISTOIRE DE FRANCE

tête… Istud caput vester Deus est, et vester Mahumet » (p. 295). Gauserand de Montpesant dit qu’elle était faite in figuram Baffometi, et Raymond Rubei, déposant qu’on lui avait montré une tête de bois où était peinte figura Baphometi, ajoute : « Et illam adoravit obsculando sibi pedes, dicens yalla, verbum Sarace norum. »

M. Raynouard (p. 301) regarde le mot Baphomet, dans ces deux dépositions, comme une altération du mot Mahomet donné par le premier témoin : il y voit une tendance des inquisiteurs à confirmer ces accusations de bonne intelligence avec les Sarrasins, si répandues contre les Templiers. Alors il faudrait admettre que toutes ces dépositions sont complètement fausses et arrachées par les tortures, car rien de plus absurde sans doute que de faire les Templiers plus mahométans que les mahométans, qui n’adorent point Mahomet. Mais ces témoignages sont trop nombreux, trop unanimes et trop divers à la fois (Rayn., p. 222, 337 et 286-302). D’ailleurs ils sont loin d’être accablants pour l’Ordre. Tout ce que les Templiers disent de plus grave, c’est qu’ils ont eu peur, c’est qu’ils ont cru y voir une tête de diable, de mauffe (p. 290), c’est qu’ils ont vu le diable lui-même dans ces cérémonies, sous la figure d’un chat ou d’une femme (p. 293-294). Sans vouloir faire des Templiers en tout point une secte de gnostiques, j’aimerais mieux voir ici, avec M. de Hammer, une influence de ces doctrines orientales. Baphomet, en grec (selon une étymologie, il est vrai, assez douteuse), c’est le dieu qui baptise selon l’esprit, celui dont il est écrit : « Ipse vos baptizavit in Spiritu Sancto et igni » (Math., 3, 11), etc. C’était pour les gnostiques le Paraclet descendu sur les apôtres en forme de langues de feu. Le baptême gnostique était en effet un baptême de feu. Peut-être faut-il voir une allusion à quelque cérémonie de ce genre dans ces bruits qui couraient dans le peuple contre les Templiers « qu’un enfant nouveau engendré d’un Templier et d’une pucelle estoit cuit et rosty au feu, et toute la graisse ostée et de celle estoit sacrée et ointe leur idole » (Chron. de Saint-Denis, p. 58). Cette prétendue idole ne serait-elle pas une représentation du Paraclet dont la fête (la Pentecôte) était la plus grande solennité du Temple ? Ces têtes, dont une devait se trouver dans chaque chapitre, ne furent point retrouvées, il est vrai, sauf une seule, mais elle portait l’inscription LIII. La publicité et l’importance qu’on donnait à ce chef d’accusation décidèrent sans doute les Templiers à en faire au plus tôt disparaître la preuve. Quant à la tête saisie au chapitre de Paris, ils la firent passer pour un reliquaire, la tête de l’une des onze mille vierges. (Rayn., p. 299.) — Elle avait une grande barbe d’argent.