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HISTOIRE DE FRANCE

fuyait de l’idée dans la passion, du trouble dans le trouble. Peu à peu, esprit et sens, âme et corps, tout se détraquant, il n’y avait bientôt plus dans la machine humaine une pièce qui tînt. Comment, d’ignorance en erreur, d’idées fausses en passions mauvaises, d’ivresse en frénésie, l’homme perd-il sa nature d’homme ? Nous ferons ce cruel récit. L’histoire individuelle explique l’histoire générale. La folie du roi n’était pas celle du roi seul : le royaume en avait sa part.

Reprenons Charles VI à son enfance, à son avènement.


Le petit roi de douze ans, déjà fol de chasse et de guerre, courait un jour le cerf dans la forêt de Senlis. Nos forêts étaient alors bien autrement vastes et profondes, et la dépopulation des quarante dernières années les avait encore épaissies. Charles VI fit dans cette chasse une merveilleuse rencontre : il vit un cerf qui portait, non la croix, comme le cerf de saint Hubert, mais un beau collier de cuivre doré, où on lisait ces mots latins : « Cesar hoc mihi donavit (César me l’a donné[1]). » Que ce cerf eût vécu si longtemps, c’était, tout le monde en convenait, chose prodigieuse et de grand présage. Mais comment fallait-il l’entendre ? Était-ce un signe de Dieu qui promettait des victoires au règne de son élu ? ou bien une de ces visions diaboliques par où le Tentateur prend possession des siens,

  1. Religieux de Saint-Denis.