Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/256

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Il ne doit pas passer le pont, le gouverneur ne le veut pas, et il passe. De la première cour il marche à la seconde ; nouveau refus, et il passe ; il franchit le second fossé par le pont-levis. Et le voilà en face de l’énorme grille de fer qui fermait la troisième cour. Celle-ci semblait moins une cour qu’un puits monstrueux, dont les huit tours, unies entre elles, formaient les parois. Ces affreux géants ne regardaient point du côté de cette cour, n’avaient point une fenêtre. À leurs pieds, dans leur ombre, était l’unique promenade du prisonnier ; perdu au fond de l’abîme, oppressé de ces masses énormes, il n’avait à contempler que l’inexorable nudité des murs. D’un côté seulement, on avait placé une horloge entre deux figures de captifs aux fers, comme pour enchaîner le temps et faire plus lourdement peser la lente succession des heures.

Là étaient les canons chargés, la garnison, l’état-major. Rien n’imposa à Thuriot. « Monsieur, dit-il au gouverneur, je vous somme au nom du peuple, au nom de l’honneur et de la patrie, de retirer vos canons et de rendre la Bastille. » — Et, se tournant vers la garnison, il répéta les mêmes mots.

Si M. De Launay eût été un vrai militaire, il n’eût pas introduit ainsi le parlementaire au cœur de la place ; encore moins l’eût-il laissé haranguer la garnison. Mais il faut bien remarquer que les officiers de la Bastille étaient la plupart officiers par la grâce du lieutenant de police ; ceux même qui n’avaient servi jamais portaient la croix de Saint-Louis. Tous,