Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/335

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Généralement le paysan montait d’abord au château pour se faire donner des armes ; puis il osait davantage, il brûlait les actes et les titres. La plupart de ces instruments de servitude, les plus actuels, les plus oppresseurs, étaient bien plutôt dans les greffes, chez les procureurs et notaires. Le paysan y alla peu. Il s’attaqua de préférence aux antiquités, aux chartes originales. Ces titres primitifs, sur beaux parchemins, ornés de sceaux triomphants, restaient au trésor du château pour être montrés aux bons jours. Ils habitaient les somptueux casiers, les portefeuilles de velours au fond d’une arche de chêne qui faisait l’honneur de la tourelle. Point de manoir important qui, près du colombier féodal, ne montrât la tour des archives.

Nos gens allaient droit à la tour. Là pour eux était la Bastille, la tyrannie, l’orgueil, l’insolence, le mépris des hommes ; la tour, depuis bien des siècles, se moquait de la vallée, elle la stérilisait, l’attristait, l’écrasait de son ombre pesante. Gardien du pays dans les temps barbares, sentinelle de la contrée, elle en fut l’effroi plus tard. En 1789, qu’est-elle, sinon l’odieux témoin du servage, un outrage perpétuel, pour redire tous les matins à l’homme qui va labourer l’antique humiliation de sa race… « Travaille, travaille, fils de serf, gagne, un autre profitera, travaille et n’espère jamais ? »

Chaque matin et chaque soir, mille ans, davantage peut-être, la tour fut maudite. Un jour vint qu’elle tomba.