Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/373

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Necker part le 11 juillet, il revient trois semaines après, et il ne reconnaît plus le peuple. Dussaulx, qui avait passé soixante ans sous l’ancien régime, ne sait plus où est la vieille France. « Tout est changé, dit-il, la démarche, le costume, l’aspect des rues, les enseignes. Les couvents sont pleins de soldats ; les échoppes sont des corps de garde. Partout des jeunes gens qui s’exercent aux armes ; les enfants tâchent d’imiter, ils suivent, se mettent au pas. Des octogénaires montent la garde avec leurs arrière-petits-fils : « Qui l’aurait cru, me disent-ils, que nous aurions le bonheur de mourir libres ! »

Chose peu remarquée : malgré telle et telle violence du peuple, sa sensibilité avait augmenté ; il ne voyait plus de sang-froid les supplices atroces qui, sous l’Ancien-Régime, étaient un spectacle pour lui. À Versailles, un homme allait être roué comme parricide ; il avait levé le couteau sur une femme, et son père, se jetant entre eux, avait été tué du coup. Le peuple trouva le supplice plus barbare encore que l’acte, il empêcha l’exécution et renversa l’échafaud.

Le cœur de l’homme s’était ouvert à la jeune chaleur de notre Révolution. Il battait plus vite, il était plus passionné qu’il ne fut jamais, plus violent, mais plus généreux. Chaque séance de l’Assemblée offrait l’intérêt touchant des dons patriotiques qu’on y apportait en foule. L’Assemblée nationale était obligée de se faire caissier, receveur ; c’est à elle qu’on venait pour tout, qu’on envoyait tout, les