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départementales qui s’organisèrent bientôt, absorbaient le citoyen tout entier et sans réserve. Plusieurs faisaient porter leur lit dans les bureaux et travaillaient nuit et jour[1]. À la fatigue joignez le danger. Les masses souffrantes se défiaient toujours, elles accusaient, menaçaient. Les trahisons de l’ancienne administration rendaient la nouvelle suspecte. C’était au péril de leur vie que ces nouveaux magistrats travaillaient à sauver la France.

Et le pauvre ! le pauvre ! qui dira ses sacrifices ? La nuit, il montait la garde ; le matin, à quatre ou cinq heures, il se mettait à la queue à la porte du boulanger ; tard, bien tard, il avait le pain. La journée était entamée, l’atelier fermé… Et que dis-je, l’atelier ? Presque tous chômaient. Que dis-je, le boulanger ? Le pain manquait, plus souvent encore l’argent pour avoir le pain. Triste, à jeun, le malheureux errait, traînait sur les places, aimant mieux être dehors que d’entendre au logis les plaintes, les pleurs de ses enfants. Ainsi l’homme qui n’avait que son temps, ses bras pour vivre et nourrir sa famille, les consacrait de préférence à la grande affaire, le salut public. Il en oubliait le sien.

Noble et généreuse nation ! Pourquoi faut-il que nous connaissions trop mal cette époque héroïque ? Les choses terribles, violentes, poignantes, qui suivirent, ont fait oublier la multitude des dévouements

  1. C’est ce que firent les administrateurs du Finistère. (Voir, sur cette activité vraiment admirable, Duchatellier, La Révolution en Bretagne, passim.)