Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/68

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le fond du Christianisme ; hors de là, il y a philosophie et non plus religion. Celle-ci, c’est la religion de la Grâce, du salut gratuit, arbitraire, et du bon plaisir de Dieu.

L’embarras fut grand, lorsque le Christianisme, avec cette doctrine opposée à la Justice, fut appelé à gouverner, à juger le monde, lorsque la jurisprudence descendit de son prétoire et dit à la nouvelle foi : « Jugez à ma place. »

On put voir alors, au fond de cette doctrine qui semblait suffire au monde, un abîme d’insuffisance, d’incertitude, de découragement.

Si l’on restait fidèle au principe que le salut est un don et non le prix de la Justice, l’homme se croisait les bras, s’asseyait et attendait ; il savait bien que ses œuvres ne pouvaient rien pour son sort. Toute activité morale cessait en ce monde.

Et la vie civile, l’ordre, la justice humaine, comment les maintiendrait-on ? Dieu aime et ne juge plus. Comment l’homme jugera-t-il ?… Tout jugement religieux ou politique est une contradiction flagrante dans une religion uniquement fondée sur un dogme étranger à la Justice.

On ne vit pas sans Justice. Donc il faut que le monde chrétien subisse la contradiction. Cela met dans beaucoup de choses du faux et du louche ; on ne se tire de cette double position que par des formules hypocrites. L’Église juge et ne juge pas, tue et ne tue pas. Elle a horreur de verser le sang ; voilà pourquoi elle brûle… Que dis-je ? Elle ne brûle pas.