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réussi qu’à faire de son idole un miracle d’égoïsme.

Il a pris l’adoration au mot, s’est cru un dieu. Mais ce mot dieu, il n’y a rien compris. Être dieu, c’est vivre pour tous… Lui, de plus en plus, il se fait le roi de la cour ; ceux qu’il voit, ce petit nombre, cette bande de mendiants dorés qui l’assiègent, c’est son peuple. Divinité étrange, il a rétréci, étouffé un monde dans un homme, au lieu d’étendre et d’agrandir cet homme à la mesure d’un monde. Tout son monde aujourd’hui, c’est Versailles ; là même, cherchez bien ; si vous trouvez un lieu petit, obscur, un sombre cabinet, une tombe déjà ! c’est ce qu’il lui faut ; assez pour un individu[1].


II


J’approfondirai tout à l’heure l’idée dont vivait la France, le gouvernement de la grâce et de la monarchie paternelle. Cet examen sera fort avancé peut-être, si j’établis d’abord par preuves authentiques les résultats où ce système avait abouti à la longue ; l’arbre se juge sur les fruits.

D’abord on ne peut contester qu’il n’ait assuré à ce peuple la gloire d’une prodigieuse et incroyable patience. Lisez les voyageurs étrangers des deux derniers siècles, vous les voyez stupéfaits, en traver-

  1. Je parle du petit appartement obscur de Madame de Maintenon, où finit Louis XIV. Pour sa croyance personnelle à sa propre divinité, voir surtout ses étonnants Mémoires, écrits sous ses yeux et revus par lui.