Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/95

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et puis, par des efforts, on en a fait arriver pour un demi-jour. On gagne le lendemain en jeûnant. Quand M. d’Artagnan a marché, il a fallu que les brigades qui ne marchaient pas jeûnassent… C’est un miracle que nos subsistances, et une merveille que la vertu et la fermeté de nos soldats… Panem nostrum quotidianum da nobis hodie, me disent-ils, quand je parcours les rangs, après qu’ils n’ont plus que le quart et que la demi-ration. Je les encourage, je leur fais des promesses ; ils se contentent de plier les épaules et me regardent d’un air de résignation qui m’attendrit…« Monsieur le maréchal a raison, disent-ils, il faut savoir souffrir quelquefois. »

Patience ! vertu ! résignation ! Peut-on n’être pas touché, en retrouvant ces traces de la bonté de nos pères ?

Qui me donnera de pouvoir faire l’histoire de leurs longues souffrances, de leur douceur, de leur modération ? Elle fit longtemps l’étonnement, parfois la risée de l’Europe : grand amusement pour les Anglais de voir ce soldat maigre et presque nu, gai pourtant, aimable et bon pour ses officiers, faisant sans murmure des marches immenses, et, s’il ne trouve rien le soir, soupant de chansons.

Si la patience mérite le ciel, ce peuple, aux deux derniers siècles, a vraiment dépassé tous les mérites des saints. Mais comment en faire la légende ?… Les traces en sont fort éparses. La misère est un fait

    dans un beau champ de blé qui est à la tête de notre camp… » (Lettre du 29 juillet 1711.)